Corners : la formule gagnant / gagnant

Les corners ne sont pas réservés aux grands magasins ou dédiés aux seules marques haut de gamme. De plus en plus d’enseignes en proposent, souvent en commission-affiliation. Une formule light qui permet aux détaillants de bénéficier des avantages de la franchise sans renoncer à leur identité de multimarques.

Le corner, cet espace dédié à une marque au sein d’un point de vente, est un format utilisé depuis longtemps dans le secteur du prêt-à-porter. Les grands magasins, à Paris comme en région, en sont essentiellement composés. La nouveauté, c’est qu’il se développe dans des boutiques de petites tailles, chez les indépendants multimarques. Tous les segments de marché sont concernés : la femme et l’homme (avec La Fée maraboutée, Voodoo, Kaporal, Digel …), l’enfant (Cycleband), le sportswear (O’Neill, CBK), le balnéaire (Pain de sucre), la chaussure (Cycleur de luxe, Karston) … Principale raison de cet engouement : le corner apparaît comme une réponse à la crise qui touche les multimarques comme leurs fournisseurs. « C’est une formule d’avenir, qui va peut-être sauver le multimarque », s’enthousiasme Marie-Hélène Ozouf, de Galene tribu, à Montélimar. « C’est un partenariat gagnant-gagnant », considère Aubin Jeanteur, le président du directoire de Jeanteur, à Charleville-Mézières. Et il est vrai que le corner en commission-affiliation (il existe d’autres formules : voir notre dossier spécial Affiliation /Franchise) présente de nombreux avantages pour toutes les parties. Les enseignes de petites et moyennes tailles sont les plus actives dans la démarche, les mastodontes n’éprouvant pas le même besoin d’évoluer. « Pour accueillir le corner Olly Gan, début mars, j’ai arrêté sept marques, dont Aigle, Harris Wilson … Je les avais pourtant invitées à me proposer quelque chose de plus sympa, car tous les risques étaient pour moi. Mais rien n’est venu », raconte Didier Tanguy, directeur des Galeries, à Avranches. Parfois, ce sont les détaillants qui suscitent le changement. À Pau, Version consacre la moitié de ses 140 m² à Women dept. « Je vendais déjà deux de leurs marques quand, il y a deux ans, j’ai arrêté l’enfant pour leur dédier mon rez-de-chaussée. Ils ne proposaient pas encore de corner : c’était mon idée », raconte Arthur Demirdjian. C’est Didier Tanguy qui a donné envie à Olly Gan, rencontré à Franchise expo en 2014, de travailler ce format. Dans sa boutique de 1 700 m², il accueille aujourd’hui 12 enseignes nationales. En 2002, lorsque cet ancien affilié Nouvelles galeries a recouvré son indépendance, il lui a fallu batailler ferme pour attirer les premières. « Avec les 8 000 habitants d’Avranches, on me rigolait presque au nez ! Mais j’ai proposé à Caroll, à Etam de faire un test en prenant tout à ma charge. Et ça a marché. » 


Le principe. Aujourd’hui, pour un détaillant, ouvrir un corner est bien plus facile, car les enseignes proposent des formules variées et flexibles. La base, c’est de pouvoir affecter « une certaine superficie » à la marque choisie. Chez Mise au green, le minimum est de 15 m². Pour Aubin Jeanteur, « il faut prévoir au moins 20 m², car un merchandising aéré est consommateur de place ». Dans sa boutique, Marie- Hélène Ozouf consacre entre 40 et 60 m² à chacun de ses trois corners : « la clientèle est de plus en plus friande d’espace. C’est un nouveau luxe ! » À l’inverse, pour présenter ses maillots de bain, Pain de sucre est ouvert aux discussions à partir de 2,4 m linéaire… Pour l’agencement et le mobilier, si certaines enseignes imposent leur concept, d’autres s’en remettent à de la PLV pour marquer leur territoire. Cette souplesse se retrouve dans les contrats de commission- affiliation proposés : leur durée est plus courte que pour les boutiques monomarques (un ou deux ans, contre cinq habituellement), le droit d’entrée est réduit, voire supprimé et, comme l’indique Cécile Ménéroux, cogérante de Bouvier-Millot à Langres : « pour le CA à atteindre, ils ne fixent pas d’objectifs irréalisables. » 

Des avantages pour les enseignes…

S’implanter. Pour les enseignes, le développement des corners s’inscrit, d’abord, dans une stratégie d’implantation chez les multimarques. « Nos produits n’étaient pas diffusés en wholesale, mais nous recevions des demandes. Alors, pourquoi pas ? Nous n’avons que 150 points de ventes, pas 600 ou 800, explique Richard Gigou, directeur général  de Finogan SAS (Olly Gan et Peter Polo). Mais à la condition de respecter notre image et notre style. Avec le corner, nous proposons des silhouettes complètes, un thème, une histoire à raconter. » Une formule à succès que Richard Gigou s’attache à reproduire aujourd’hui avec Peter Polo. « C’est l’exemple type de la marque qui fonctionne parfaitement en corner, grâce aux multiples déclinaisons de nos modèles, détaille Richard Gigou. Par exemple, notre  pièce phare, le Polo, est disponible en 35 couleurs différentes, même chose pour nos bermudas et nos chinos qui se déclinent en plusieurs tons. On arrive donc facilement à créer un univers spécifique dans une surface de vente réduite, et c’est justement ça que le client recherche aujourd’hui ». 

Le corner permet aussi d’être présent dans des zones de chalandise trop petites pour accueillir un monomarque, surtout, note Bruno Monterastelli, directeur commercial de Mise au green, « pour les enseignes qui ne sont pas total look et ne proposent, par exemple, que des chemises. » Les villes de moins de 30 000 habitants deviennent ainsi des relais de croissance. « Pour la boutique comme pour le fournisseur, cela permet de faire un test. On démarre avec 20 m², si ça se développe on passe à 30 ou 40 m², sinon on arrête », indique Richard Gigou. Lorsque les marques sont déjà présentes en multimarques, l’objectif assigné au corner peut être de préserver ce réseau alors que nombre de détaillants s’arrêtent ou connaissent des difficultés financières. C’est une question cruciale pour des entreprises qui n’ont pas toujours les moyens d’ouvrir elles-mêmes des boutiques à leur enseigne. La marque Delahaye, par exemple, développée depuis 2002, est diffusée chez 800 multimarques en France. Elle est devenue une enseigne il y a deux ans en ouvrant d’abord des corners (elle en compte 25 aujourd’hui). Sa première succursale n’a été inaugurée qu’en février dernier. 

Lire aussi : Affiliation / Franchise : Les clés pour bien choisir son réseau

Se développer. Seconde stratégie : les corners permettent d’augmenter les ventes en magasin. D’une part, les assortiments proposés sont plus vastes. « Nos détaillants s’aperçoivent que le potentiel de notre marque chez eux est bien plus important qu’ils ne le pensaient. Certains, qui achetaient en ferme une centaine de pièces, en vendent aujourd’hui six fois plus grâce à la commission-affiliation », explique William Kohn, le PDG de Delahaye. D’autre part, les produits sont davantage mis en valeur, grâce au mobilier, aux préconisations merchandising ou lorsqu’une vitrine est dédiée à la marque. « Le corner incite le client à rester dans l’univers de la marque et permet de faire des ventes complémentaires. Pour essayer un costume, la vendeuse va proposer une chemise, une ceinture… », remarque Richard Gigou. Traitée à part, la marque peut plus facilement justifier ses prix. 

…Et pour les détaillants

La commission-affiliation. En rejoignant un réseau, les détaillants bénéficient des avantages de la commission-affiliation. Et ils sont nombreux ! « Il n’est plus nécessaire de financer les achats. C’est un souci de trésorerie en moins, surtout si l’on démarre son activité, explique Aubin Jeanteur. Quand on achète en ferme, on se limite à un certain budget alors que la commission-affiliation permet d’avoir un stock plus important, un réassort permanent et la sécurité du retour des invendus. » Galene tribu est ainsi passé d’environ 25 000 € d’achats chez La Fée maraboutée à 60 000 €. Au moment des soldes, cet atout devient déterminant. « Il faut du choix pour vendre, indique Bruno Monterastelli, qui écoule 40 à 45 % de son stock en soldes. Et pour respecter la loi, les produits soldés doivent être en stock depuis plus d’un mois. Or, dans un réseau, c’est le stock du dépôt qui est pris en considération… » Pour les promotions, les affiliés sont également avantagés. « Quand nous faisons des erreurs avec certains articles, nous pouvons facilement lancer une animation commerciale. Un multimarque ne peut pas le faire, car il est coincé avec les marges… », explique Sophie Plichon, responsable réseau chez Women Dept. Ces opérations créent du trafic dans le point de vente, qui bénéficie aux autres marques : les articles du corner deviennent alors des produits d’appel ! Les détaillants profitent enfin du savoir-faire de l’enseigne. « Il faut faire confiance aux équipes des enseignes pour le style, le marketing… Tout évolue plus vite qu’avant et nous n’avons pas forcément le temps de sortir… », admet Didier Tanguy.

Le corner. En boutique, un corner est d’abord un espace au design soigné, même si les partenaires s’efforcent de limiter les dépenses. Ainsi, Women dept propose d’aménager un petit stand incluant deux mannequins pour 3 000 €. Chez Galene tribu, on a repeint des meubles pour les intégrer dans des corners. « On n’a jamais envie de dépenser beaucoup d’argent mais cela éveille la curiosité des clients, ça donne un nouvel élan à la boutique », explique Cécile Ménéroux. Ensuite, il y a l’effet marque. « Dès que le réseau commence à être connu, le corner amène de la notoriété aux boutiques », indique Sophie Plichon. Le stand va donner de la lisibilité au point de vente et permettre une identification forte et rapide de la marque par la clientèle. « Au début, j’étais favorable à quelque chose d’ouvert. Mais les clientes sont tranquillisées si elles identifient le corner : elles savent où elles vont », constate Marie-Hélène Ozouf. Enfin, en proposant une offre plus complète pour une marque, le corner prend en compte les comportements web-to-store. « Les consommateurs consultent internet avant de venir en magasin et pas seulement après pour chercher de meilleurs prix. Nous ne devons donc pas les décevoir en n’ayant pas l’article qu’ils ont repéré dans leur taille. Dans un corner, l’assortiment est représentatif de la marque et il ne manque pas de produits grâce au réassort automatique », explique Didier Tanguy.

Les autres marques. Pour accueillir un corner, il faut faire de la place. Les boutiques réduisent le nombre de marques vendues, mais restent des multimarques. L’attrait du métier demeure donc intact pour les « folles et fous de mode » … Avec leurs marques en achat ferme, les détaillants peuvent construire une offre complémentaire, adaptée à la clientèle locale, au goût du jour. Et cela ne déplaît pas aux enseignes, comme l’explique Sophie Plichon : « Je n’ai pas envie que toutes mes boutiques se ressemblent : notre clientèle a besoin d’originalité. Quand on rentre dans un magasin, on vient voir Mme Untel, avec sa sélection. J’aimerais rester dans cet esprit multimarque. » Les boutiques avec corners conservent égale- ment leur nom et la réputation qui lui est attachée. 

Des inconvénients ?

Le corner en commission-affiliation présente bien quelques inconvénients. Il faut encaisser les ventes sur un logiciel spécifique et émettre un ticket différent pour les autres marques. Le taux de commission est plus faible que les marges en achat ferme. Mais il est constant, y compris pendant les soldes, et souvent compensé par une hausse du CA avec la marque considérée. À l’ouverture du corner, il faut veiller à ce que le mobilier ne crée pas de frontières dans le point de vente, nuisibles aux autres rayons, et communiquer sur ce changement : « au début, notre clientèle a eu du mal à comprendre », se souvient Arthur Demirdjian. S’il devait y avoir une inquiétude, elle concernerait plu- tôt l’éventuelle disparition de l’enseigne accueillie en corner. « En cas d’échec, difficile de reprendre des marques que j’ai arrêté et le mobilier va à la déchetterie… Je me retrouve en culotte courte ! », note Didier Tanguy. Mais les détaillants qui ont franchi le pas se montrent rassurants. C’est le cas de Cécile Ménéroux, qui a mis fin à un partenariat pour des problèmes de qualité et a dû faire face à la disparition de Chattawak : « Nous avons perdu quelques clientes qui venaient pour cette marque, mais nous en avons gagné avec une autre griffe. Le changement amène aussi de la nouveauté, on com- munique dessus. Un magasin n’est pas statique ! » Christine Olivares, d’Equatoriades à Maisons-Laffitte, conseille de « garder une certaine diversité et de ne pas faire passer l’image d’un fabricant avant sa propre identité ». Du côté des enseignes, le problème, « c’est le détaillant qui ne joue pas le jeu », comme le dit William Kohn, qui évalue les non-renouvellements de contrat chez Delahaye à 10 %. Bruno Monterastelli se souvient, lui aussi, « d’un détaillant surtout soucieux de vendre son stock avec lequel il margeait davantage. Si c’est pour faire de la figuration, cela ne m’intéresse pas ! » Mais le bilan n’en reste pas moins très positif pour les marques, comme pour les détaillants. Preuve que le corner en affiliation-franchise est bien un partenariat gagnant- gagnant.

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