Interview croisée – Marie-Laure Bellon / Etienne Cochet
A l’image du marché de la mode, les salons sont eux aussi confrontés à un environnement économique difficile qui les oblige à repenser leur modèle. Une stratégie que nous décrypte Marie-Laure Bellon, présidente du directoire d’Eurovet (SIL, Mode City, Interfillière, Sport -achat) et Etienne Cochet, nouveau directeur général de WSN Développement (Who’s Next & Première Classe).
Image : De gauche à droite : Philippe Maurel, Etienne Cochet et Marie-Laure Bellon.
Philippe Maurel : Multiplication des showrooms, baisse du nombre de détaillants, modification du modèle économique dû à l’émergence du numérique, les salons sont confrontés à de nombreux défis. Comment redéfinir leurs rôles et leurs places dans ce nouveau contexte ?
Marie-Laure Bellon
La nouvelle place des salons est à mettre en perspective avec les évolutions de notre société. Les détaillants français sont moins nombreux qu’il y a 20 ans, c’est pour cela qu’au Salon International de la Lingerie (SIL) nous avons choisi de miser sur l’internationalisation, pour multiplier les débouchés de nos exposants. Un pari réussi puisqu’avec 70% de visiteurs internationaux, les marques peuvent désormais venir chez nous plutôt que de se déplacer à travers le monde.
Mais nous sommes aussi conscients de la nécessité d’offrir plus de proximité et de flexibilité à nos acheteurs, notamment français. Nous travaillons d’ailleurs en ce sens avec le développement de plus petites structures au plus près des indépendants, à l’image de Riviera by Mode City, qui a lieu chaque année au mois de septembre, à Cannes.
« La position centrale de Paris dans la mode n’est pas en danger. En tant que salons, nous devons relever le défi pour continuer à développer une offre attractive, qui incitera les acheteurs à faire le déplacement »
Etienne Cochet
Les salons font face depuis quelques années à une double problématique de temps et de concurrence. D’un côté l’acheteur veut optimiser ses déplacements, ce qui implique qu’il est à la fois pressé et surveille de près son budget déplacement. De l’autre, nous assistons à un foisonnement des showrooms, salons, et autres évènements organisés qui proposent une offre de qualité et diversifiée. C’est pour cela que notre stratégie doit être centrée sur le rassemblement de cette offre afin d’offrir le meilleur confort au visiteur. Dans cette optique, relancer Paris Capitale de la Création, sous ce nom là ou une autre dénomination, apparaît très pertinent et il est certain que la question devra se poser assez rapidement.
Philippe Maurel : Dans ce contexte économique et sécuritaire difficile, et alors que la concurrence des autres villes s’intensifie, Paris peut-elle conserver sa place de « Capitale de la Mode » ?
Etienne Cochet
Malgré les difficultés observées ces dernières années, Paris reste toujours aux yeux du monde entier une place centrale de la mode. Au niveau des salons professionnels, il est vrai que l’Italie se démarque aujourd’hui par sa prédominance sur le marché de l’homme, pour autant, à l’inverse de Paris en France, les rôles sont partagés entre Milan et Florence. En revanche, en ce qui concerne, la femme, l’accessoire ou encore la lingerie, Paris reste clairement la référence en la matière. Les Italiens sont d’ailleurs très présents lors des salons français, tant du côté exposants que visiteurs.
« Aucun changement de date (de salons) n’est en vue, mais nous travaillons à redéfinir clairement les positionnements de Première Classe et Who’s Next, pour la première comme la seconde session »
Marie-Laure Bellon
Nous avons pu malheureusement le constater ces dernières semaines, le problème sécuritaire est international, il peut désormais toucher toutes les villes et non uniquement les capitales. Pour autant, la voie qui consisterait à arrêter de se déplacer est un non-sens complétement irréalisable au vu du monde dans lequel nous vivons. A mon sens donc, la position centrale de Paris dans la mode n’est pas en danger vis-à-vis de ce nouveau contexte. En tant que salons, nous devons aussi prendre cela comme une sorte de défi pour continuer à développer une offre attractive, qui incitera les acheteurs à faire le déplacement.
Philippe Maurel : Justement concernant le déplacement, les dates des salons ont-elles vocation à changer de nouveau ?
Marie-Laure Bellon
Concernant Mode City, déplacer le salon mi-juillet relevait d’un impératif technique pour les marques. Dans le swimwear, les commandes doivent en effet être prise avant la fin août pour pouvoir respecter les délais de production, ce choix était donc indispensable dans l’optique de s’imposer en tant que salon référent au niveau international.
Néanmoins, nous sommes conscients que cela a pu poser des problèmes à nos détaillants français, pour lesquelles il est difficile de quitter leur boutique en plein milieu de la forte saison. C’est justement pour pallier ce manque que nous avons décidé d’organiser Riviera by Mode City, au mois de septembre. Ainsi, au lieu que les agents se déplacent de manière différenciée, nous avons regroupé les marques au sein d’un salon dédié à proximité des détaillants du sud de la France. Et la demande est au rendez-vous !
Conséquence inattendue, depuis que l’on organise Riviera, nous avons plus de visiteurs du sud de l’Hexagone à Mode City. En début de saison, ils font le tour des tendances, des produits sur le salon, et surtout cela leur permet d’échanger avec les leaders de leur secteur. Pour favoriser les synergies, nous avons d’ailleurs créé un club d’ambassadeurs de détaillants français et internationaux qui se réunissent à l’occasion des salons, afin d’échanger leurs meilleurs pratiques, et là aussi c’est un véritable succès. De notre côté, on les renseigne sur les nouvelles pépites, et en fin de saison ils peuvent venir à Riviera plutôt que de faire la tournée des showrooms en Allemagne, le tout dans un cadre convivial.
« Nous avons créé un club d’ambassadeurs de détaillants français et internationaux qui se réunissent à l’occasion des salons, afin d’échanger leurs meilleurs pratiques, c’est un véritable succès »
Etienne Cochet
Pour le moment, aucun changement de date n’est en vue. Le fait est que pour la femme comme dans l’accessoire, il est quasiment impossible d’organiser un salon après le 14 juillet pour le visitorat étranger, et avant, le problème se pose davantage avec les acheteurs français.
En réalité, ce à quoi nous travaillons le plus actuellement est de redéfinir clairement les positionnements de Premiere Classe et Who’s Next, pour la première comme la seconde session. Il est important de rappeler que Premiere Classe est leader international dans l’accessoire. C’est d’ailleurs avec l’envie de consolider cette position que nous avons décidé de créer un nouveau hall à partir du mois d’octobre, en revalorisant les savoir-faire, les métiers d’arts, tout ce qui touche à la valeur ajoutée française dans ce secteur. L’objectif est de pouvoir bien faire le distinguo avec Who’s Next, qui garde de son côté son ADN prêt-à-porter féminin.
En parallèle, nous allons renforcer le pôle mode lors de la deuxième session du mois de mars au palais des Tuileries, où l’offre est cette fois-ci davantage orientée vers les boutiques plus pointues, concept-stores, ou même les grands magasins internationaux. L’idée est de pouvoir offrir une visibilité claire aux acheteurs et aux exposants entre les différents salons et sessions, avec toujours un objectif en vue : faciliter le business.