Enquête – Bien fixer les prix de vente pour un détaillant

Dans la première partie de notre enquête, disponible dans Boutique2Mode n°31, nous avons évoqué les problématiques communes aux détaillants et marques de mode concernant la fixation des tarifs. Pour autant, que l’on soit fabricant ou revendeur, les enjeux et les contraintes diffèrent. Et même si la détermination du prix est avant tout du ressort du fournisseur, les indépendants ont aussi leur mot à dire !

« Pour la fixation des tarifs, je me fie aux prix conseillés par mes fournisseurs, mais à condition qu’ils ne soient pas trop élevés, car après c’est à moi de vendre en boutique. » Comme le souligne justement Elisabeth Terrier, gérante de Julie Boutique à Orléans, le métier de détaillant reste en premier lieu de vendre le produit, et non d’en déterminer le prix. En tant que revendeur, les marges de manœuvre sont de toute façon limitées, et parfois même inexistantes, certaines griffes contraignant les multimarques à respecter les prix indiqués. Un prix qui est plus que jamais au centre des préoccupations du client, incité constamment par les grandes enseignes de l’habillement, ou même de l’alimentation, à acheter « le moins cher », synonyme de bonnes affaires. Face à cette situation, l’indépendant doit donc s’emparer à son tour de cette problématique et démontrer qu’à défaut d’être le moins cher, il est celui qui propose le prix juste !

Bien choisir ses produits… et ses fournisseurs

« La mode diffère des autres formes de commerce dans le sens où il y a une part d’irrationnel et d’impulsivité dans l’acte d’achat. Certaines personnes sont prêtes à exploser leur budget pour une paire de chaussures ou un manteau sur lequel elles ont flashé », analyse Laurent Zentz, gérant des boutiques Goodvibes et Elan. Plus que le prix en lui-même, c’est donc davantage sur le produit que les indépendants doivent miser, et cela nécessite de prendre le temps d’effectuer en amont les achats. « J’achète un produit plutôt qu’une marque, poursuit Laurent Zentz, j’essaye d’avoir un bon rapport qualité/prix, et je suis parfois le seul à distribuer la marque sur Strasbourg ou même en France. » Pour Gérald Avakian, PDG du grossiste en habillement Carla Raffi (lire notre interview), les détaillants ont tous intérêt à suivre cet exemple et proposer des articles uniques : « C’est la concurrence qui fixe le prix d’un produit. Si le commerçant est le seul à le vendre dans sa région, il peut alors augmenter sa marge. » A l’heure de la vente sur le net, il convient néanmoins de vérifier que la politique de distribution du fournisseur est en adéquation, ou du moins qu’elle n’entre pas en conflit avec la philosophie de la boutique. « A partir du moment où je m’aperçois qu’une marque vide ses stock sur internet, j’arrête de travailler avec elle, témoigne le responsable de la boutique Le vestiaire d’uzes, d’autant plus que les marques de mode, ce n’est pas ce qu’il manque ! » 

Pratiquer des marges différenciées

Dans son étude « Fashion Prixing Excellence » le cabinet Simon-Kucher & Partners met en avant les avantages d’une différenciation du taux de marge en fonction du type de produit, et notamment de son taux de rotation en magasin. Si ces stratégies sont aujourd’hui davantage utilisées par les enseignes, qui maîtrisent à la fois le coût de création/fabrication et de commercialisation, les indépendants ne doivent pas pour autant fermer la porte à ce genre de pratique. Notamment pour les produits à plus forte valeur ajoutée et avec un turn-over plus faible, comme les grosses pièces, sur lesquels les détaillants peuvent marger davantage. « Pour ma part, j’augmente le coefficient de vente pour mes articles haut de gamme, explique le gérant de la boutique Le Vestiaire d’Uzes. Il faut néanmoins que la marque possède une certaine renommée pour légitimer ce supplément aux yeux du client. » Laurent Zentz a quant lui choisi de commercialiser des appareils photos argentiques, avec à l’inverse un taux de marge réduit par rapport à ses articles de mode. « Je fais plus ça par passion, reconnaît-il, mais il y a aussi un certain gain pour la boutique en terme de notoriété et de diversité de la clientèle. » Les accessoires, et les bijoux notamment, permettent parfois de fixer plus librement les prix, et c’est là l’occasion de pratiquer des marges plus élevées. « Je gagne mieux ma vie sur les bijoux que dans le prêt-à-porter, confirme la gérante de Liou à Aix-en-Provence. Si bien qu’au fil des années, c’est devenu mon activité principale, puisque ça représente plus de 50% de mon chiffre d’affaires. » 

Eduquer et séduire le client

A l’heure où la majorité des consommateurs ne connait plus la réelle valeur du produit, les détaillants doivent prendre leur responsabilité et expliquer comment est déterminé son prix, de la création à la fabrication, sans oublier le coût qui leur importe le plus, la commercialisation. « Il m’arrive régulièrement de raconter à mes clients le cheminement du vêtement, de la provenance des tissus à l’atelier de fabrication à Milan, tout en expliquant le savoir-faire qu’il détient », témoigne Laurent Lopez, gérant de la boutique L’Observatoire à Toulouse. Le responsable de la boutique Le Vestiaire d’Uzes va encore plus loin : « Je n’hésite pas à dire la vérité à mes clients sur les dessous des prix bas des grands groupes, ce que cela implique en terme d’exploitation de la main d’œuvre et les pertes pour la France sur le plan fiscal. » Pour Laurent Lopez, le détaillant doit aussi séduire le client, le convaincre que le produit est aussi important que son prix. « De nos jours, on n’est plus obligé de dépenser de l’argent pour s’habiller, là où la différence va se faire c’est au niveau du produit, mais aussi de notre capacité à le vendre, à conseiller le consommateur, c’est ici le prix de notre valeur ajoutée. » 

Ne pas tomber dans le piège des promotions

S’il est bien connu que certaines enseignes jouent avec les coefficients multiplicateurs afin de proposer des rabais record pendant les soldes et autres évènements promotionnels, les détaillants n’ont eux aucun intérêt à entrer dans ce système. « C’est difficile pour nous détaillants d’accroître nos marges pour mieux solder par la suite, car cela va à l’encontre de notre logique de commerçant », explique Maurice Didi, gérant de 9 boutiques à Paris. Economiquement aussi ce n’est pas rentable, puisque cela implique d’augmenter trop fortement nos prix, chose impossible dans le contexte actuel. Seules les enseignes qui cumulent la marge de fabricant et de revendeur peuvent se le permettre », poursuit-il. Pour Laurent Zentz, la solution afin d’échapper à la logique de promotion reste la même : proposer des produits uniques. « Les articles qui se vendent tout seul, on n’a pas besoin de les brader, affirme-t-il. Je me souviens une fois d’une cliente qui vient me voir et me montre sur son Smartphone un modèle de sac à main, en apparence identique à celui que je vendais, mais 30% moins cher, en exigeant que je lui fasse le même prix ! Je lui explique alors que cet article ne possède pas les mêmes caractéristiques, ni techniques ni esthétiques. Partie un peu déconcertée, elle est revenue 2 heures plus tard pour acheter le sac à main en question. » Au final, la détermination du juste prix semble donc toujours dépendre de la loi historique de l’offre et la demande. Et c’est en travaillant sur la qualité de leur offre produit et de service que les indépendants pourront plus librement fixer leur prix.


A lire également sur notre site : Enquête – Enseignes et marques de mode, comment fixer les prix ?

Vous pouvez aussi poursuivre la lecture de cet article et découvrir les différents critères retenus par les détaillants et marques de mode pour définir leurs prix, dansBoutique2Mode n°31.   
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