L’élection controversée du président de la FNH

Fin mai 2017, deux candidats s’opposaient pour la présidence de la Fédération Nationale de l’Habillement. Une élection tronquée selon plusieurs membres du comité directeur, qui dénoncent des tentatives de manipulations de la part de Bernard Morvan pour pouvoir briguer un troisième mandat. Et ce alors même que les statuts de la Fédération ne permettent pas plus de deux mandatures.

Marc Léonard, ancien membre du comité directeur, se souvient bien de la période, déjà tendue, lorsque la passation de pouvoir s’est opérée entre l’historique président de la FNH, Charles Melcer, et Bernard Morvan, en 2011. Et des décisions qui avaient été prises pour donner une nouvelle impulsion à la FNH. « Nous voulions modifier notre façon de fonctionner, et notamment permettre un renouvellement plus fréquent de l’instance dirigeante afin d’éviter que des personnes s’installent trop longtemps, relate-t-il. C’est en ce sens que nous avons modifié nos statuts, qui prévoient ainsi que le Président ne peut pas briguer plus de deux mandats. » Un esprit de rassemblement et de modernité qui n’aura pas duré, la Fédération se retrouvant aujourd’hui plus que jamais divisée. L’origine de la discorde, la succession de Bernard Morvan au mois de mai 2017, alors que ce dernier achevait ce qui devait normalement être son dernier mandat. « Le problème c’est que Mr Morvan n’a pas préparé sa succession comme cela doit se faire normalement dans une fédération, regrette un administrateur, qui préfère rester anonyme. Certaines personnes ont commencé à le lui reprocher, mais en vérité tout cela était calculé car il ne voulait surtout pas lâcher le poste. » Une entorse au règlement qui n’a pas été du goût de tous, à l’instar de Carol Bleitrach, Président du syndicat textile de la région Haut-de-France, affilié à la FNH. « Quand je repense à ce que l’on a déboursé pour modifier nos statuts, tous cela pour qu’au final on se retrouve dans la même situation qu’auparavant, ça me met en colère, s’insurge-t-il. Le pire dans cette histoire, c’est que Bernard Morvan n’a eu de cesse de nous rabâcher qu’il prenait cette décision par la force des choses, puisque personne ne voulait se présenter. Pourtant lorsqu’un candidat s’est porté volontaire, il n’a pas lâché le morceau. »

« La direction a très mal pris la candidature de Hervé Huchet et a tout fait pour le décrédibiliser »

Hervé Huchet, gérant de 2 magasins multimarques à Deauville et impliqué dans la défense de la profession depuis plusieurs années, a en effet présenté sa candidature, encouragé par plusieurs administrateurs. Une initiative qui aurait été mal perçue. « La direction l’a très mal pris et a tout fait pour le décrédibiliser, se souvient Carol Bleitrach. Ils ont tenté de nous faire peur aussi, en nous expliquant que Hervé Huchet allait couper des têtes. » Les opposants à Bernard Morvan semblent pourtant être de plus en plus nombreux, rendant l’issue de l’élection indécise. Dans cette optique, chacun tente alors de rassembler des voix et de convaincre les derniers hésitants. Parmi eux, une personne semble détenir les clés de l’élection de par le poids de son vote. Il s’agit de Michèle Lacour, Présidente de la Chambre Nationale des Détaillants en Lingerie (CNDL), qui s’est regroupée à la FNH quelques années auparavant. Un partenariat dont Mme Lacour n’est pas satisfaite, comme nous l’atteste de nombreuses sources en interne. En cause, une redistribution insuffisante du budget à la CNDL, qui ne peut dès lors plus mener des actions spécifiques en direction des détaillants de sa branche. Et aurait ainsi perdu près de la moitié de ses adhérents depuis son rattachement à la FNH. Pour faire pencher la balance en sa faveur, Bernard Morvan contacte alors Michèle Lacour, et, d’après nos informations, lui promet une augmentation de budget pour sa chambre syndicale. « C’est un secret de polichinelle à la Fédération, tout le monde est au courant de cet appel qui a fait basculer l’élection », affirme Carol Bleitrach. Ce que nous confirme plusieurs administrateurs et présidents de fédérations professionnelles. Michèle Lacour, que nous avons contactée, admet avoir été effectivement sollicitée par Bernard Morvan juste avant l’élection. Mais ne souhaite pas trop s’étaler sur le sujet, par crainte de se mettre en défaut vis-à-vis de la FNH, depuis que les administrateurs ont été priés de signer une “lettre d’engagement”, qui proscrit notamment de « mener toute action et de tenir tout propos en opposition avec la ligne syndicale de la FNH » (Voir notre article : La politique de la FNH en question). La Présidente de la CNDL décide ainsi de s’abstenir de voter le jour de l’élection. Ce qui permet au final à Bernard Morvan de se faire réélire pour un mandat exceptionnel d’un an et demi, soit jusqu’au mois de janvier 2019.

Les dirigeants de la FNH sembleraient pressés de pousser vers la sortie les opposants

Cette réélection de Bernard Morvan dans un climat tendu ne s’est pas déroulée sans laisser de trace. C’est justement suite à celle-ci que les premiers témoignages ont commencé à affluer à notre rédaction. De son côté, la direction semble aujourd’hui pressée de pousser vers la sortie les opposants. A l’image par exemple de Carol Bleitrach, qui nous explique ainsi que les dirigeants de la FNH ont tenté de convaincre le Vice-Président de son syndicat régional de présenter sa candidature à la Présidence, contre lui. « Il s’agit là d’une stratégie classique à la FNH, affirme Carol Bleitrach. Quand ils veulent écarter un administrateur, ils convoquent une assemblée générale en région et contactent les adhérents locaux afin de leur expliquer qu’ils vont devoir voter pour élire leur représentant. Comme la plupart des détaillants n’ont pas le temps de prendre une journée pour assister à cette AG, la FNH leur propose de signer une procuration, tout en les incitant habilement à voter pour les candidats qu’ils souhaitent mettre en poste. Et bien souvent, les administrateurs déjà en place sont avertis au dernier moment de cette AG, si bien qu’ils ne peuvent rien faire pour préparer leur réélection. » Une manière de procéder qui nous a été confirmée par d’autres sources, et dont a récemment fait les frais… Hervé Huchet. Ce dernier a en effet été prévenu seulement 5 jours à l’avance de la tenue d’une AG dans sa région de Normandie, où il occupait pourtant le poste de Vice-Président ! Et d’après les dernières informations que nous avons pu obtenir (l’AG ayant eu lieu le 28 mai 2018), cette élection régionale aurait également été entachée d’irrégularités, plusieurs votes n’ayant pas été comptabilisés, notamment*. Avec ce type de pratiques et dans une telle ambiance, la plupart des opposants à la direction ont quitté ou risquent de quitter la FNH**. Reste à savoir si les nouveaux nommés adouberont la direction sans poser trop de questions… Et si la prochaine élection sera l’occasion de relancer la Fédération ou si la ligne actuelle sera conservée avec la nouvelle présidence. Affaire à suivre…


*Contacté suite à la parution de cet article, Etienne Djelloul, le Président FNH de la région Normandie, n’a jamais répondu à notre demande d’interview. 
**Depuis la parution de notre article, Frédéric Chekroun a demissionné de son poste de Président FNH de la Délégation Régionale Poitou-Charentes. 


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