Quand la presse fait de la pub aux grandes enseignes

Les grandes enseignes ont le vent en poupe, grappillant d’année en année des parts de marché dans le secteur de la mode. Une popularité que certains titres de presse semblent utiliser pour recruter de nouveaux lecteurs.

L’inauguration du 9ème magasin Primark dans le centre commercial Euralille à Lille fut une nouvelle fois l’occasion de constater le fort intérêt de certains titres de presse vis-à-vis de l’enseigne irlandaise : de nombreux articles en amont annonçant l’ouverture prochaine du magasin, puis le jour J, plusieurs vidéos relayées sur les réseaux sociaux et YouTube. A tel point que Primark n’a plus besoin d’investir dans une communication extérieure.

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Et le problème se situe justement à ce niveau. Car s’il peut paraître normal pour un média grand public d’informer ses lecteurs sur l’ouverture d’une grande enseigne internationale, rien ne justifie les campagnes de communication menée gratuitement par certains titres de presse. Pour les 400 emplois créés aujourd’hui, dont tous se félicitent, combien en seront détruits par la suite chez des indépendants ? Un questionnement légitime lorsque l’on sait que de nombreuses études estiment qu’un emploi créé dans une multinationale détruirait en moyenne 3 emplois dans les petits commerces ! Une argumentation reprise avec succès par l’Union Commerciale de Bayonne, alors que l’enseigne irlandaise projetait de s’installer dans la galerie commerciale d’Ikea Bayonne. « A l’époque, nous avions exprimé l’inquiétude de tous les petits commerces quant à l’ouverture d’un tel mastodonte, en nous basant sur des études d’impact dans les autres villes, et la CNAC, qui statut sur les autorisations d’implantation, avait entendu notre appréhension » explique sa présidente Cathy Duprat-Guéguen. Une crainte qui pourrait aujourd’hui se matérialiser à Lille. Quel sera l’impact de l’implantation de Primark sur l’activité des commerçants indépendants, déjà quasiment absents du centre commerciale Euralille ? Quelle valeur ajoutée ces 400 emplois, de « plieurs de vêtements » (majoritairement), apporteront ils à notre économie ? Enfin quid des conditions de travail des salariés français (Lire notre enquête sur le sujet) ? Voici les vraies questions que la presse devrait se poser.

A l’inverse, de nombreux articles se contentent aujourd’hui de relayer les propos de Christine Loizy, PDG France de Primark, qui assure que les salariés français sont épanouis dans leur travail, ou encore que les articles de mode sont de bonne qualité et fabriqués dans des usines qui assurent des conditions de travail éthiques à leurs ouvriers… Aux lecteurs de se contenter de cette réponse. A leur décharge, il est vrai qu’obtenir des informations sur Primark relève aujourd’hui du parcours du combattant. Dans le cadre de notre enquête sur les conditions de travail des salariés français, aucun membre du siège social n’a donné suite à nos demandes répétées d’interview. La seule réponse obtenue fut un communiqué de presse précisant que « 74% des salariés français sont fiers de travailler chez Primark ». Face à notre insistance pour connaître les modalités de ce sondage, le service de presse de Primark nous a certifié que nous recevrions les détails de cette enquête interne dans les plus brefs délais. Plus de 4 mois se sont écoulés aujourd’hui, et nous attendons toujours les résultats… Une lenteur d’exécution étonnante lorsque l’on sait que la marque est pourtant capable de renouveler ses collections tous les 15 jours !

Dans ce contexte, nous appelons la presse grand public à effectuer son rôle d’investigation et non à se contenter de relayer les campagnes de communication des grandes entreprises. Il en va de la survie des commerçants indépendants, mais aussi de notre démocratie, dont l’un des piliers est une presse libre et indépendante !