Enquête – Enseignes et marques de mode, comment fixer les prix ?

Dans la première partie de notre enquête, disponible dans Boutique2Mode n°31, nous avons évoqué les problématiques communes aux détaillants et marques de mode concernant la fixation des tarifs. Dans cette seconde partie, nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux différentes composantes du prix d’un produit, et comment les marques déterminent le tarif qui devra être affiché en boutique.

Les prix dans l’habillement devraient augmenter en 2016. C’est en tout cas ce qui ressort de la journée consacrée aux perspectives internationales mode et textiles organisée par l’IFM. En cause, la baisse de l’euro face au dollar, qui renchérit le coût des produits importés, dans les pays exportateurs d’Asie et d’Afrique notamment. Les prix à l’importation en provenance de Chine ont grimpé de 19% en 2015 et de 14% avec le Bangladesh. Cette nouvelle donne devrait ainsi contraindre les très grandes enseignes à relever leurs tarifs en 2016, de l’ordre de 5% pour certaines d’entres elles selon les informations de l’IFM. Une augmentation difficile à mettre en œuvre tant le prix des produits n’a jamais semblé aussi important dans les décisions d’achats des consommateurs. Un client qui dans le même temps devient de plus en plus exigeant sur la qualité des articles de mode, compliquant dès lors le travail des marques dans leur recherche d’un tarif qui respecte à la fois le coût de fabrication, le prix psychologique, tout en rentabilisant l’activité !

L’importance de la fabrication

Selon l’IFM, à l’heure actuelle, 78% des approvisionnements du secteur de l’habillement européen se font en Asie, un record ! La raison de cet engouement est due aux coûts de production très faibles, notamment au Bangladesh et dans les pays d’Asie du sud Est, où les salaires ne dépassent parfois pas plus de 60 euros mensuel. Une concurrence qui fait du tort à la Chine, pourtant toujours premier exportateur mondial de textile, mais où le salaire de base se monte à 234 euros. « La Chine est certes devenue moins compétitive que ses voisins asiatiques au niveau des prix, confirme Eric Sayac, PDG de Diego Reiga, pour autant elle possède de nombreux savoir-faire indispensables à l’industrie textile.Sur la maille par exemple, les marques n’ont pas vraiment d’autres choix que de faire fabriquer en Chine, car le pays a conservé des usines dans lesquelles les ouvriers savent assembler des mailles, ce qui est beaucoup plus compliqué à trouver en Europe. Et la qualité est au rendez-vous ! Aujourd’hui d’ailleurs, le made in China n’a rien à envier au made in Portugal, par exemple ».
Vicky Caffet, fondateur de Garçon Français, marque 100% Made in France Confectionner en Asie n’est cependant pas la voie choisie par tous les professionnels de la mode, à laquelle certains préfèrent une production euro-méditerranéenne plus flexible. « De nos jours, la mode évolue tellement vite que les fabricants ont intérêt à retarder au maximum la production des collections pour espérer coller au plus près des tendances confie Gérald Avakian, PDG de la marque Carla Raffi et grossiste en habillement (lire notre interview). C’est pour cela que j’ai décidé d’avoir une fabrication uniquement italienne pour ma griffe, et puis on économise également en frais de transport, de douanes, mais surtout de communication», ajoute-t-il. Même raisonnement pour le « made in France » qui permet une flexibilité sans égale pour le fabricant, « mais qui ne peut concerner qu’une partie limitée de l’offre textile au vue des contraintes de coûts », nuance Vicky Caffet, fondateur de Garçon Français, marque 100% Made in France (lire notre interview). « Lorsque l’on fabrique dans des pays aux coûts de production élevés comme la France, tout doit être rationnalisé : la confection, les effectifs, les compétences des salariés… un modèle économique difficile à transposer aux plus grandes structures. Et puis même en faisant tout ça, on reste plus cher que la plupart des enseignes. »

Le meilleur prix…

Offrir le produit le moins onéreux, c’est l’obsession de nombreux professionnels de la mode. D’autant plus que le secteur évolue eu sein d’un environnement de Fast Fashion qui incite le consommateur à renouveler sa garde robe toujours plus régulièrement. Et ce, alors même que comme le révèle une enquête de l’UFC Que Choisir, les Français ne consacrent plus que 6% de leur budget dans la mode, contre 10% en 1984. Une tendance observée par Julie Dussaussay, directrice du département Mode de Kantar Worldpanel. « Nous enquêtons sur un panel de 12500 Français, qui nous déclarent chaque semaine leurs achats de mode. Nos dernières observations confirment l’importance du facteur prix dans la consommation de mode. Depuis deux ans, les consommateurs privilégient des prix de plus en plus bas. Même s’ils aiment toujours la mode et achètent un peu plus en volume, ils dépensent moins. » Le prix est-il donc le critère numéro 1 d’achat ? C’est en tout cas l’avis de Romain Asse, fondateur de Monsieurtshirt.com, un site de vente en ligne de T-shirt pour homme. « Dans notre segment de marché, le prix a plus d’importance que le produit, et c’est encore plus vrai pour notre clientèle jeune, de 20 à 35 ans », constate-t-il.

​… Et la meilleure promotion !

Pour le cabinet de conseil Simon-Kucher & Partners, qui vient de publier une grande étude sur “Les tendances de consommation sur le marché du textile féminin“, le prix ne se positionne pourtant qu’en 5ième position dans les critères d’achat des clientes, derrière le choix en boutique, les promotions pratiquées, ou encore le rapport qualité/prix. « Le client a été habitué à des prix barrés tout au long de l’année avec la multiplication des évènements promotionnels, souligne Martin Crepy, spécialiste du marché de l’habillement et associé chez Simon-Kucher & Partners. Cette modification du mode d’achat l’a conduit à être de moins en moins attaché à une marque, mais davantage fidèle à la bonne affaire. » Une bonne affaire synonyme de promotion en magasin, puisqu’elle signifie, aux yeux des clients, acquérir un produit en dessous de sa valeur réelle, ce qui augmente au final son rapport qualité/prix. Un avis partagé par Julie Dussaussay : « Au delà même du prix, les clients aiment avoir l’impression de faire des affaires et sont très sensibles aux montants des remises. » Dans ce contexte, personnaliser l’offre promotionnelle apparaît comme une moyen de (re) fidéliser le consommateur. « Certaines marques ont intérêt à pratiquer des promotions à destination uniquement de leurs meilleurs clients, avance Martin Crepy, qui tient aussi à rappeler que cette démarche nécessite d’avoir effectué au préalable une étude de sa clientèle, d’où l’intérêt de faire appel à un cabinet spécialisé comme le nôtre. »

Critères d’achats des clientes

Déterminer le prix psychologique

Pratiquer des promotions ciblées est un premier pas, reste encore aux professionnels de la mode à ajuster leurs tarifs à « l’image prix » que les clients se font de leur marque. L’étude de Simon-Kucher & Partners montre en effet que les consommateurs ont une idée assez bien précise du positionnement prix que doit avoir une griffe. Certaines marques peuvent ainsi être très compétitives sur un segment de marché et pourtant toujours considérées comme chères aux yeux du client. Par exemple chez H&M, un jean vendu aux alentours de 35 euros n’est perçu comme onéreux que par seulement 10% des consommatrices, alors qu’elles sont 35% dans le même cas sur un produit similaire vendu pourtant 30 euros chez Zara. « Avant de commencer à travailler sur les prix de vente, les dirigeants doivent comprendre qui sont leurs clients, qu’elle est l’élasticité-prix de leurs produits, afin de fixer le tarif qui correspond à la fois à la tendance du marché mais aussi à la vision que les consommateurs ont de la marque », insiste Matin Crepy. Sur l’exemple du jean, le facteur psychologique est ainsi très important puisqu’en passant le prix de 20 à 21 euros, la probabilité d’achat baisse de 21 points, diminuant de 73% à 51% !

Comparaison entre les prix en boutiques et la cherté perçue par les clientes selon les enseignes

Pratiquer des marges différenciées

Dans son étude « Fashion Prixing Excellence », le cabinet Simon-Kucher & Partners met en avant les avantages d’une différenciation du taux de marge en fonction du type de produit, sa popularité en boutique, la valeur perçue par le client… Par exemple, quel doit être le niveau de marge d’un article « eyes catcher », produit référence pour un consommateur, qui va lui permettre de se faire une idée sur les tarifs qui sont pratiqués en boutique ? Même questionnement pour les articles à faible rotation en magasin et à l’inverse ceux que l’on renouvelle davantage. « Pour un produit de faible valeur ajoutée, comme les chemises simples sans broderies ni boutons spécifiques, j’applique une marge normale, entre 2,5 et 2,8 explique de son côté Eric Sayac. En revanche pour des articles de plus forte valeur ajoutée, les coefficients multiplicateurs peuvent être plus élevés. » Monter en gamme pour augmenter ses marges, l’idée est séduisante, mais elle se heurte une nouvelle fois à  l’image prix que le client a de la marque. « Il est très difficile de commercialiser du haut de gamme sans investir dans une campagne de communication,car on  ne vend plus un prix mais un produit, explique Mathieu Esnault, en charge du marketing chez Sidas Sport France, spécialisé dans la chaussure de sport. En plus de la publicité envers le grand public, il est indispensable de former les revendeurs indépendants aux spécificités de l’article, puisque ce sont eux qui in fine font le lien avec le client final ». Et si la solution se trouvait là également ? Travailler de pair avec les détaillants afin qu’ils puissent faire remonter les informations sur l’image prix de la marque. Au vue de l’instabilité actuelle du secteur, une meilleure coopération entre les professionnels de la mode est en tout cas la bienvenue.

A lire également sur notre site : Enquête – Bien fixer les prix de vente pour un détaillant

Vous pouvez aussi poursuivre la lecture de cet article et découvrir les différents critères retenus par les détaillants et marques de mode pour définir leurs prix, dansBoutique2Mode n°31.   
Commandez ce numéro ou abonnez vous à boutique2Mode