Bruno Le Maire relance le débat sur les dates de soldes

Alors que les boutiques de mode s’apprêtent à réouvrir et que les promotions se multiplient sur le net, Bruno Le Maire se dit ouvert à un décalage des dates de soldes.

«Le 24 juin c’est trop tôt. Il me semble que ce n’est pas la bonne date pour les commerçants. Je suis ouvert à un décalage de la période soit au début du mois de juillet, soit si certains le souhaitent, reporter encore plus tard, après l’été». Bruno Le Maire vient, sans aucune ambiguïté d’ouvrir la porte à un report de la date des soldes d’été. Une mesure attendue par la majorité des professionnels, commerçants et grandes enseignes, mais encore faut-il décider de la nouvelle date ! «Je souhaite que les différents commerces concernés puissent trouver un compromis pour proposer de nouvelles dates», a précisé le ministre, enjoignant ainsi les différents acteurs à se concerter. Une concertation qui ne va pas de soit. Face aux conséquences économiques de la crise sanitaire, les acteurs de la filière mode ont tous demandé peu ou prou les mêmes mesures d’aides et de reports de charges. Mais en coulisses, au sujet de la date de début des soldes d’été, les couteaux sont tirés entre les fédérations professionnelles qui représentent les détaillants et l’Alliance du commerce qui représente les grandes enseignes.

Extrait du sondage réalisé entre le 29/06 et le 29/11/2017 (Boutique2Mode n°38)

Des dates de soldes qui posent débat

Du côté des commerçants indépendants, la CDF (Confédération des Commerçants de France : chaussures, lingerie, maroquinerie) demande un report des soldes au 22 juillet 2020, invoquant « qu’après  presque deux mois de fermeture, les détaillants indépendants sont en recherche de trésorerie et de marge, pour limiter les dégâts de la crise sanitaire ». Un report qui selon la CDF « devra être accompagné d’une ordonnance exceptionnelle pour encadrer, un mois avant la nouvelle date repoussée des soldes, les promotions agressives, les ventes privées, les ventes à perte, … » y compris pour le e-commerce, précise-t-elle, tout en réclamant le rétablissement du « prix de référence », supprimé en 2015.

Signez aussi la pétition : Les promotions doivent être encadrées ! 

Si l’Union française des industries mode & habillement (UFIMH) milite pour un report au 15 juillet – une date souvent évoquée dans les différents témoignages de professionnels reçus à la rédaction – la position de l’Alliance du Commerce est, on s’en doute, radicalement différente, soutenant que « le début des soldes d’été doit être reportée au 1er juillet au plus tard ». Une date beaucoup trop précoce pour la CDF qui doutait « qu’après un confinement strict, le gouvernement autorise un afflux de consommateurs en lieu confiné fin juin, avec les risques de contagion que cela engendrerait ». Mais l’Alliance du Commerce s’en tient à l’urgence économique et souhaite rapidement « contribuer à la nécessaire relance de la consommation après une crise qui aura fortement pénalisé le pouvoir d’achat de très nombreux Français ». Avec un but avoué : « l’écoulement des stocks de la collection Printemps-Été 2020 qui sont actuellement à un niveau exceptionnellement élevé ». Une stratégie mass market de court terme que l’on connait trop bien, et qui vise à inonder le marché afin de renflouer les trésoreries. Une logique de volumes assumée par l’Alliance du Commerce qui demande, comme l’Union française des industries mode & habillement, le prolongement de la période des soldes jusqu’à 6 semaines. Et, pour l’Alliance du Commerce, il n’est pas question de revenir au prix de référence, au contraire, celle-ci recommande un assouplissement de la réglementation, « afin que les produits soldés ne soient pas contraints d’être proposés à la vente et payés depuis au moins un mois ». Un scénario à l’opposé de celui proposé par la CDF et qui augure bien, dès la réouverture des magasins, de nouvelles foires aux promos, rabais et autres ventes privées…

Retrouver du sens et de la cohérence

Alors que notre société contemporaine, n’a jamais été autant en quête de valeur et alors que le président martèle que « le jour d’après ne sera plus comme le jour d’avant », allons-nous encore accepter la pratique des fausses promotions ? La France, engagée dans la transition écologique doit-elle encourager la diffusion à tout va et à tout prix de “fringues” et de baskets fabriquées la plupart du temps dans des conditions déplorables en Asie ?

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Tous les professionnels savent que la répétition de ce type d’évènements promotionnels par les grandes enseignes a peu à peu tout faussé : les prix, la qualité des produits, les conditions de fabrication, ainsi que les marges. « Multiplier les rabais et allonger les périodes de soldes pénalisent ceux qui pratiquent des marges honnêtes tout l’année », soulignait déjà en 2016 dans nos colonnes, David Revah, PDG de LPB. Or vendre un produit de mode est un métier à part entière, qui requiert un minimum de moyens, avec des compétences spécifiques à un chausseur ou une lingerie par exemple. Une émulation des savoir-faire qui apporte une réelle valeur ajoutée à l’ensemble de la société : le client qui obtient un produit adapté à ses besoins, le salarié qui n’est pas considéré comme un simple plieur de vêtements, mais exerce un vrai métier, ainsi que l’employeur qui assume les risques et apporte, au moyen du paiement des charges et impôts, sa contribution à la société. Un modèle qui s’effrite depuis des dizaines d’années maintenant, jusqu’à ne laisser que des miettes aux commerçants, tandis que les centres commerciaux encerclent les villes et que l’on déroule le tapis rouge aux entrepôts d’Amazon. Un modèle appelé à se renouveler comme le montre l’enquête initiée par Patrick Aboukrat et menée par la communauté WSN (Who’s Next) et dont Francis Cabrel pourrait dresser le constat : « Est-ce que ce monde est sérieux ? »