Tandis que l’opinion se « dé-Shein » contre l’ultra fast fashion, les Français « en-Shein » les achats !
L’étude Ipsos-BVA qui vient d’être publiée confirme une tendance de fond : près de 7 Français sur 10 soutiendraient la mise en place de mesures pour freiner l’expansion des géants chinois de l’habillement. Et si Shein notamment fait l’objet d’une fronde populaire, politique et professionnelle, l’ultra fast fashion capte aujourd’hui une part croissante des ventes. Mais ces pratiques anticoncurrentielles ne datent pas d’hier, des mesures fortes doivent être prises ainsi qu’une refondation du modèle.

Faut-il continuer à se « dé-Sheiner », faut-il se réinventer, et surtout, comment en est-on arrivé là ? Depuis des années, certaines marques ont fermé les yeux sur les conditions de production, sacrifiant qualité et éthique sur le dos de travailleurs asiatiques et sur l’autel d’une rentabilité immédiate. Produits de qualité médiocre, marges artificielles gonflées, tarifs trompeurs… le modèle de la fausse promotion a prospéré, jusqu’à faire perdre toute notion de prix réel aux consommateurs.
Et quoiqu’on en dise, ce cercle vicieux en satisfaisait beaucoup. En premier lieu les consommateurs, qui au prétexte de promotions, bénéficiaient d’articles un peu moins chers. Et, nombre de marques/enseignes, qui profitaient ainsi de coût d’achat ultra compétitifs et pratiquaient sans vergogne le jeu de dupe des fausses promotions, tant elles étaient assurées de conserver une marge confortable.
Les différents gouvernements s’accommodaient, somme toute, bien de ce contexte, au nom du sacro-saint pouvoir d’achat. Et même si nombre d’élus locaux ont souvent déploré les fermetures d’usines et de commerces, beaucoup se sont battus pour accueillir des centres de marques, sans penser aux torts causés aux indépendants situés dans les communes alentour.
« Si aujourd’hui Shein et Temu cristallisent les critiques, Primark fonctionne sur une logique similaire. En réalité, toute la filière mode est tirée vers le bas depuis des années »
Si aujourd’hui Shein et Temu cristallisent les critiques, ils ne sont que les derniers avatars d’un modèle plus ancien et que nous avons collectivement laissé prospérer. Du reste Primark, fonctionne sur des logiques économiques similaires : volumes massifs, rotation rapide, traçabilité floue et prix plancher. L’ouverture de magasins physiques Shein en France ne sera qu’une nouvelle déclinaison de l’ultra fast fashion. En réalité, c’est toute la filière mode qui est tirée vers le bas depuis des années, dans une indifférence quasi-générale et au détriment des commerçants et travailleurs français, avec pour conséquence une industrie textile devenue exsangue.
Le débat actuel a au moins le mérite de nous forcer à regarder ce « modèle » en face, d’autant qu’il ne concerne pas que la France. Pas plus loin qu’en Italie, à Prato, une enquête de France Télévision a révélé récemment que le plus grand pôle textile d’Europe est aujourd’hui dominé par des entreprises chinoises où les conditions de travail rappellent davantage les ateliers clandestins que le « made in Italy » vanté sur les étiquettes. Des milliers de travailleurs y sont exploités, payés quelques euros de l’heure, pour produire des vêtements vendus comme moyenne gamme en Europe. Ainsi, ce que l’on croit être une production locale et donc supposée de qualité, n’est qu’une illusion marketing, qui masque une production délocalisée sur le territoire même de l’Union Européenne. Et quand bien même les productions chinoises seraient taxées, les règles sont ici contournées, parfois même les lois, des pratiques qui remettent en cause la chaîne de valeur sur tout le continent.
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Une opposition qui s’étend bien au-delà de l’opinion publique
L’hostilité exprimée par les Français dans l’étude Ipsos, fait écho à un rejet beaucoup plus large. Ces derniers mois, les réactions se sont multipliées dans toute la filière mode. Avec l’augmentation exponentielle des colis chinois, puis de l’annonce de l’installation de Shein au BHV, toutes les fédérations professionnelles, des syndicats aux chambres consulaires, en passant par les têtes de réseau de la distribution indépendante, ont marqué leur rejet catégorique des pratiques liées à l’ultra fast fashion. La Confédération des Commerçants de France (CDF) et le Conseil du Commerce de France (CDCF), soutenus par 14 autres fédérations représentant l’essentiel du commerce de détail, réclamant même « la mise hors ligne immédiate » de plateformes comme Shein, Temu et AliExpress. Une fronde inédite qui dépasse les clivages habituels, tant la menace semble systémique. En s’installant au cœur d’un grand magasin parisien emblématique, Shein n’a pas seulement bousculé un symbole, elle a ravivé un vieux conflit entre modèle industriel national et concurrence mondialisée dérégulée.
Une consommation massive, malgré les critiques
Et pourtant, dans les faits, l’ultra fast fashion continue de prospérer. Le paradoxe est là : alors que les critiques fusent, les chiffres s’envolent. Temu a vu son chiffre d’affaires bondir de 42 % en 2024, Shein de 34 %. Avec AliExpress, TikTok Shop et consort, l’ensemble des plateformes chinoises représentent désormais un volume d’achat énorme, soit plus de 6,2 milliards d’euros dépensés en France entre septembre 2024 et août 2025. Le rejet moral affiché publiquement ne se traduit pas du tout dans les actes. Dès lors on peut légitimement reprocher à certains de « pactiser avec le diable », mais c’est bien la livraison de colis liés à l’essor de l’e-commerce qui a permis à notre emblématique Poste de repositionner son modèle économique, tandis qu’elle subissait une chute catastrophique de volume de courrier. Un nouveau modèle qui vient tout juste d’être confirmé, avec la signature d’un accord logistique avec Temu.
« Depuis l’ouverture du premier centre de marques à Troyes, en passant par la déferlante Amazon, les codes de la distribution ont été redéfinis. Mais doit-on continuer à voir notre industrie laminée et nos centres-villes se désertifiés ? »
Certes, on peut en vouloir au BHV d’offrir à Shein une visibilité en plein cœur de la capitale de la mode, mais continuer à se « dé-Sheiner » ne résoudra rien sur le font. Depuis l’ouverture en 1995 du premier centre de marques à Troyes, en passant par la déferlante Amazon, c’est toute une série d’acteurs qui ont progressivement redéfini les codes de la distribution, au point d’imposer un nouvel équilibre du marché. Aujourd’hui, les plateformes d’ultra fast-fashion ne font qu’aller au bout d’un modèle déjà largement amorcé. Leur succès ne s’explique pas seulement par le prix, mais par leur capacité à répondre à une consommation rapide, accessible, et surtout compatible avec les habitudes numériques. Pour autant, cette banalisation du low-cost interroge. Peut-on continuer à dénoncer ses conséquences tout en participant à son essor ? Peut-on continuer à voir notre industrie laminée et nos centres-villes se désertifier, en restant les bras croisés… et les doigts prêts à cliquer sur la dernière offre notifiée sur nos smartphones ?
Lire aussi : Détaillants mode : Quel positionnement choisir pour faire venir les clients en boutique ?
Quelle place reste-t-il aux indépendants dans ce contexte ? « Si on ne transforme pas notre outil de vente, on est perdu ! », prévient Jean Pierre Gonet, président de la Fédération des Détaillants en Chaussures de France. Mais comme le souligne Pierre Talamon, président de la FNH, ce débat dépasse la mode, car il touche à notre souveraineté économique. J’ajouterais qu’il est aussi tout à fait d’actualité et concerne notre modèle social dans son ensemble : les cotisations des ouvriers de Shein vont-elles financer nos retraites ?
DENIÈRE MINUTE : Est-ce un signe ? Le directeur de Bpifrance, vient d’appeler ce vendredi matin sur BFMTV, à taxer très fortement les petits colis, soit 50€, et donc bien au-delà des deux euros prévus par le gouvernement dans le budget 2026. « Économiquement, on est en temps de guerre ! » justifie-t-il. Nicolas Dufourcq reprend ainsi la proposition du député LR Philippe Juvin, arguant qu’il faut « monter le niveau d’agressivité très fort ». Les mots seront-ils suivis par les actes, alors que le parlement n’a jamais été aussi divisé.
17 octobre 2025 @ 15 h 29 min
Article tellement vrai !
merci pour votre lucidité et votre courage à dénoncer et à expliquer ces pratiques.
A l’image un peu des agriculteurs, « on » (producteurs Français ou Européens) nous met en concurrence directe et déloyale, avec des produits fabriqués et/ou manufacturés à vil prix à l’autre bout du monde (dont gros doutes sur les conditions de travail, de fabrication et de qualité des produits importés), avec nos coûts et charges de productions Françaises/Européennes.
Clairement, on ne peut pas lutter ! On ne peut plus lutter…
Ne serait-ce que seulement le début de la déferlante ?
Cela vaut pour une majorité de produits textiles, mais aussi et malheureusement pour une majorité de produits manufacturés.
17 octobre 2025 @ 12 h 13 min
Vous avez perdu vos clés la nuit? Cherchez près du lampadaire, vous verrez mieux
Cette fronde anti Shein c’est pareil, vous avez quelques commerçants incapables de se remettre en question qui braillent et tous les médias et organisations professionnelles qui s’engouffrent dans la brèche pour faire le buzz. C’est bien connu qu’il y a plus d’insatisfaits qui s’expriment que de personnes qui comprennent la question.
Les lois existent déjà, les normes aussi, s’il y a de la marchandise produite à base de produits interdits il faut les refouler. C’est quoi les pratiques anti-concurrencielles de Shein? Ça me fait sourire quand j’entends 7/10 soutiendraient des mesures anti Shein, c’est comme l’écolo qui milite le dimanche et ne trie pas sa poubelle la semaine.
La France des lois revient en force, qui va être emmerdé par de nouvelles normes, étiquettes, taxes ou je ne sais trop quoi??? Le commerçant français. Vous allez demander à un fabricant chinois de mettre une note à son vêtement??? non, j’ai déjà lu il me semble que le commerçant devra aller sur un site pour saisir la composition du vêtement, site qui va lui attribuer une note qu’il faudrait étiqueter au vêtement. Bonjour les lois de simplification, encore une taxe en plus de re-fashion en plus de la taxe sur les emballages????
Shein vous leur fermez la porte, ils vont rentrer par la fenêtre, d’ailleurs toutes les marques à petit prix sont concernées
Quoi faire?
– appliquer et faire respecter les lois existantes
– supprimer la franchise de TVA (150€) on ne cherche pas des sous pour notre déficit?
– mettre en place des cotas à l’importation des produits fabriqués dans des conditions que vous jugez indécentes (et n’oubliez surtout pas de le dire aux chinois qu’ils se moquent des conditions de travail, il en faut des c… pour leur dire en face et ….. le prouver, pas un petit reportage dans un atelier clandestin. Je me souviens d’un reportage sur de tels ateliers à Londres, pour autant allons nous interdire les importations du Royaume-Uni?)
Je pense que nous manquons de psychologie dans ce domaine, un vêtement de qualité, bien coupé et bien fini a un prix, il faut le marteler dans l’opinion, il vaut mieux acheter un produit durable que 2 produits jetables, je ne suis pas assez riche pour acheter du bas prix, ça ne sonne pas mieux que de se plaindre de choses que nous ne maîtrisons pas? Ça ne peut déboucher que sur des lois imparfaites et injustes
– chercher du pouvoir d’achat car c’est bien beau de jouer les vertueux, quand il faut s’habiller et qu’il reste peu dans le porte monnaie